J’ai rarement rencontré un être humain aussi désemparé il
était assis devant moi, pâle, les traits tirés, son cou décharné flottant dans
le col de sa chemise devenu trop large. Il venait me voir sans grande
conviction, sur le conseil d’un ami pour m’exposer son problème. Quand je dis «
exposer » n’imaginez pas qu’il me raconta tout simplement ses ennuis : son état
d’épuisement et de nervosité était tel, qu’il était incapable d’en faire le
récit cohérent. Il me lisait des notes préparées pour notre entrevue. Je vous
fais grâce des détails. Marié, il avait eu, voici quelques années un choc
émotif dont il ne m’a pas précisé la nature et depuis, sa santé se délabrait
progressivement.
Il souffrait de troubles digestifs, de palpitations,
d’irritabilité, de manque de concentration. Il maigrissait à vue d’oeil,
perdait le goût de vivre, était à bout de courage. Il avait changé d’emploi
depuis peu mieux rémunéré, il se sentait hélas dépassé par ses nouvelles
responsabilités. Le lendemain, un travail important l’attendait qu’ils estimait
incapable d’accomplir. Il avait l’intention de l’avouer â son nouveau patron et
de donner sa démission.
Que faire ? La gymnastique lui était interdite car le
moindre effort l’épuisait. J’étais fort embarrassé j’aurais voulu l’aider, mais
il semblait exclu de lui faire pratiquer du yoga, même ultra élémentaire.
Pour faire le point, je lui demandai d’ôter son veston, de
se coucher sur le tapis et de respirer calmement. Ne remarquant aucun mouvement
respiratoire à l’abdomen ni au thorax, je lui dit « Ne retenez pas votre
souffle
Mais. je ne le retiens pas, je respire normalement,., fut la
surprenante réponse.
— Alors respirez aussi profondément que vous pourrez. Il fit
un effort, et sa poitrine se souleva., d’un centimètre Je palpai l’abdomen il
était dur et contracté. Cet homme était à ce point contracturé qu’il ne
respirait pratiquement pas, tout juste assez pour ne pas mourir asphyxié. Cela
expliquait bien des choses I Il me regarda ahuri lorsque je lui appris qti sa
respiration était presque inexistante il ne sen était jamais rendu compte, ni
personne d’ailleurs Après un demi-heure d’essais, il réussit à se décontracter
un peu et à respirer du ventre. Ce n’était pas formidable, bien sûr, mais
comparé à son état précédent, il inspirait au moins cinq fois puis d’air
qu’auparavant.
Trois quarts d’heure plus tard, timidement, une touche de
rose apparut sur ses joues, un pâle sourire éclaira son visage et... il était
capable de parler sans notes
Ne croyez pas que tout fut simple par la suite, mais, par la
magie du souffle, ce corps humain revint à la vie, comme une plante étiolée
qu’on arrose.
Avec l’aide de son médecin, ii est en voie de reprendre une
vie normale.
Ceci est un cas extrême mais impressionnant, el depuis ce
jour, plus que jamais, j’accorde une importance primordiale à la respiration
j’observe que, presque sans exception, les personnes qui ont une cage
thoracique bien développée — et qui s’en servent ! — vivent sans problèmes,
C’est-à-dire réussissent à les résoudre au fur et à mesure
qu’il s’en présente. Ceux qui respirent mal se débattent dans des difficultés
sans nombre, dans tous les domaines’ santé, profession, affectivité. Ils sont —
hélas — la majorité car, en fait, nous respirons tous plus ou moins mal!
Combien de pauvres poumons de civilisés ne sont jamais ventilés à fond!
La respiration est le grand volant vital. Il est possible de
se passer de nourriture solide durant des semaines, de boisson pendant quelques
jours: privés d’air nous passerions en peu de minutes de vie à trépas.
Tous les phénomènes vitaux sont liés à des processus
d’oxydation et de réduction: sana oxygène, pas de vie. Nos cellules dépendent
du sang pour leur approvisionnement en oxygène. Qu’un sang pauvre en oxygène
circule dans vos artères et la vitalité de chacune de vos cellules s’en trouve
amoindrie: « réalisez * cette vérité première, imprégnez- vous-en, rendez-vous
compte que des milliards de cellules, prêtes à vous servir fidèlement jusqu’au
bout de leurs forces, sont tributaires de l’apport d’oxygène qui leur parvient
par l’intermédiaire de ce liquide magique: le sang. Votre devoir, au sens
strict, est de leur assurer cet approvisionnement en oxygène auquel Ils ont
droit.
Non seulement nous respirons très mal, mais souvent la
qualité de l’air respiré est plus que douteuse, d’où notre manque de résistance
aux maladies, à la fatigue, notre iépugnance à tout effort physique, notre
nervosité, notre irritabilité.
L’apport d’oxygene est un aspect seulement de la fonction
respiratoire qui comprend aussi le rcjet du C02. Les cellules ne disposent
d’aucun autre moyen de se débarrasser des déchets qu’elles produisent, à part
celui de les déverser dans le sang et la purification a lieu notamment dans les
poumons. De plus, dans les poumons mal ventilés d’innombrables germes peuvent
se développer dans l’obscurité tiede et humide qui leur est favorable. Le
bacille de Koch ne résiste pas à l’action de l’oxygène: la respiration correcte
en assurant la ventilation complète des poumons Immunise contre la tuberculose.
Bien sûr nous n’avons pas attendu les Yogis pour respirer!
Mais en pratiquant leur art de respirer, vous vous rendrez compte à quel point
vous respiriez mal avant!
Il y a autant de différence entre la façon dont respire un
adepte du Yoga et un non initié, qu’entre un gamin qui barbote dans un étang et
un champion. Le premier se débat, dépense beaucoup d’énergie et arrive à peine
à flotter et à se déplacer, le second avance vite et sans effort. Toute la
différence vient de la technique et de l’exercice.
Apprenons à respirer correctement, la récompense sera
merveilleuse!
Voici les bénéfices que Swaml Sivananda attribue à la
respiration yogique: Le corps devient fort et sain ; l’excès de graisse
disparaît, Je visage resplendit, les yeux scintillent et un charme particulier
se dégage de toute la personnalité. La voix devient douce et mélodieuse. La
maladie n’a plus de prise sur l’adepte. La digestion se fait avec aisance.
(Souvenez-vous de l’appétit que vous ressentez après une longue marche en plein
air). Le corps tout enfler se purifie, l’esprit se concentre aisément. La
pratique constante éveille les forces spirituelles latentes, amène le bonheur
et la paix.* Avant votre naissance, maman respirait pour vous. Mais dès votre
venue au monde, lorsque la teneur en C02 de votre sang augmenta, le centre
respiratoire déclencha votre première et profonde inspiration. Dans la cage
thoracique, les poumons se déplissèrent: vous veniez de poser votre premier
acte autonome. Depuis lors, flux et reflux du souffle rythment votre vie jusqu’au
dernier soupir. Pour reprendre l’expression de C. L. Schleich, dès que la sage-
femme tranche le cordon ombilical, les poumons deviennent le placenta qui relie
l’homme à la mère cosmique.
Vivre c’est respirer — respirer c’est vivre et les yogis mesurent
la durée de la vie humaine en nombre de respirations.